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Le service de prospective du Ministère de l’agriculture (CEP) a publié début 2016 un rapport sur les enjeux de la bioéconomie. Alors que le gouvernement français va publier, début juillet, sa feuille de route pour soutenir les usages judicieux et soutenables des biomasses (productions agricoles ou marines, forêts, déchets, …) cette analyse pointe les questions stratégiques pour conduire des projets vertueux. Les deux auteures, Élise DELGOULET (du CEP) et Jeanne PAHUN, doctorante à l’université de Montpellier, CNRS-CIRAD, soulignent avec acuité les vigilances nécessaires un développement responsable de ce secteur.
La bioéconomie est caractérisée par l’utilisation de la biomasse comme matière première pour la fabrication d’une multitude de produits (énergie, chimie, matériaux, alimentation). Aujourd’hui elle promet des perspectives de développement économique et un rôle dans la transition vers une dépendance moindre aux hydrocarbures. Néanmoins elle reste très controversée quant aux ressources utilisées. En décembre 2015, le Centre d’étude de perspectives a publié un document de travail sur les enjeux de cette nouvelle économie. Il y présente la bioéconomie d’un point de vue politique et économique, ses perspectives et enfin discute de sa soutenabilité.
Dans un contexte de raréfaction des ressources fossiles, le terme « bioéconomie » est de plus en plus utilisé par les acteurs économiques et industriels, du fait d’un nombre croissant de projets ou de réalisations, à l'instar des bioraffineries. Outre la Commission européenne, une douzaine de pays se sont emparés de la bioéconomie, publiant des stratégies nationales et définissant des orientations techniques ou politiques. Le terme de bioéconomie a des fondements encore assez flous. Certains l’ont pensé comme un appel à refonder nos échanges en considérant nos dépendances totales aux écosystèmes (Voir les travaux de Nicolas Georgescu-Roegen), d’autres dans les biomasses de nouvelles ressources exploitables à l’envi. Toujours est-il qu’elle suscite de nombreux espoirs…
Les parties prenantes doivent être actrices de la transition bioéconomique
Après un tour d’horizon très complet des opportunités de la bioéconomie, les deux auteures n’éludent pas le fait que « souvent présentée sous forme de promesses, la bioéconomie soulève nombre de critiques et controverses ». A propos des biocarburants, de l’épuisement d’une ressource qui est certes renouvelables mais non pas inépuisable ou concernant l’affectation des sols (qui pourrait ne plus être dédiés prioritairement à l’alimentation). D’où la nécessité de créer des lieux de gouvernance participative pour faciliter le dialogue entre les parties prenantes et les citoyens. Le rapport insiste pour dire que « les parties prenantes (entreprises, ONGs, institutions régionales, nationales et européennes) ont un rôle très important à jouer dans cette transition vers une bioéconomie circulaire et durable ». La clé de cette transition semble donc être une structuration des débats pour une action coordonnée de tous les acteurs.
Les produits biosourcés semblent faire partie d’une industrie d’avenir, promettant innovation, développement économique et social. Cependant, il y a beaucoup d’obstacles qui peuvent être technologiques, économiques, temporels, réglementaires, liés à l’accès à la biomasse ou au cadre politique…
Quantifier les ressources, vérifier la soutenabilité, préserver la priorité alimentaire
Les auteures pointent trois grands points d’attention :
Le besoin d’outils permettant de quantifier les ressources afin d’évaluer les potentialités pour de nouveaux usages et pour anticiper des potentiels conflits d’usage. Les méthodes actuelles déduisent les « volumes supplémentaires » qui correspondent aux volumes de biomasse mobilisables pour de nouveaux emplois. Mais ces méthodes présentent des limites de part les modalités d’estimation de certaines ressources, usages et flux, ainsi qu’une estimation figée dans le temps. De plus il conviendrait de distinguer un potentiel économique de valorisation et un potentiel purement physique de disponibilité. C’est pourquoi le développement de nouveaux outils de quantification des ressources est nécessaire, sans quoi la bioéconomie ne pourra « s’opérationnaliser ».
Le lien entre bioéconomie et soutenabilité n’est pas toujours clairement établi et le caractère biosourcé d’un produit ne suffit pas à assurer sa durabilité. Pour préciser le lien entre bioéconomie et développement durable, on utilise des méthodes d’évaluation des impacts environnementaux . Celles-ci correspondent à une recherche d’efficience environnementale d’un produit, depuis la conception jusqu’à sa fin de vie, prenant en compte les procédés de production et de transformation. Les industries utilisent souvent la biomasse comme solution de secours vis-à-vis des hydrocarbures et de leurs aléas mais la biomasse comporte ses propres incertitudes. En effet son utilisation a des limites, en particulier celles associées à ses conditions de renouvellement (fertilité du sol, surfaces mobilisables, biodiversité et services écosystémiques, etc.), aux processus de transformation (eau prélevée, etc.), aux impacts des activités de production et de transformation (GES, etc.), et enfin à la hiérarchisation des usages.
La mobilisation des sols destinée à l’usage non-alimentaire est très controversée. En conséquence, les questions de surfaces dédiées et d’arbitrage des usages sont d’une importance cruciale pour la « soutenabilité » de la bioéconomie.
Outre la biomasse, d’autres ressources nécessaires au développement de la bioéconomie. En effet, l’attention portée à celle-ci masque les questions de dépendance et d’utilisation des autres ressources, comme l’usage des sols ou de l’eau qui concerne le prélèvement de la biomasse, mais aussi sa transformation en bioproduits.
La question des conflits d’usages est centrale pour une gestion durable de la biomasse, dans un contexte ou les débouchés sont multiples et où les volumes mobilisés s’annoncent de plus en plus importants. L’ONRB hiérarchise les usages selon trois catégories : usages alimentaires, industriels et en dernier lieu énergétiques. Le rapport d’Alexandre et al. (2012) propose, lui, une autre hiérarchisation, en se référant au Grenelle de l’environnement et à la Stratégie Nationale du Développement Durable : alimentaire, bio- fertilisants, matériaux, molécules, carburants liquides, gaz, chaleur, électricité.
Pour en savoir plus…
Les stratégies Bioéconomie en Europe
La bioéconomie est un réel enjeu économique et social pour l’Europe car elle promet la création d’emplois et dynamisation des industries. C’est pourquoi l’Union Européenne investit dans ce secteur. En effet le nouveau programme de recherche de l’Union Européenne (2014-2020) Horizon 2020 repose sur 3 piliers : l’excellence scientifique, la primauté industrielle et des défis sociétaux dont « Sécurité alimentaire, agriculture et sylviculture durables, recherche marine, maritime et dans le domaine des eaux intérieures et bioéconomie ». Dans ce plan européen, une part importante du budget total de 77 milliards d’euros est donc destiné à la bioéconomie.
Plusieurs états européens comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suède, se sont déjà dotés de stratégies nationales qui orientent les politiques publiques relatives aux questions d’utilisation des ressources, d’acceptation publique, de compétitivité ou de communication sur la bioéconomie.
En France, la publication d’une feuille de route stratégique par les principaux ministères concernés est prévue pour le mois de juillet.
Les secteurs économiques concernés par la bioéconomie sont nombreux : agriculture, sylviculture, aquaculture en tant que pourvoyeurs d’intrants mais aussi tous les utilisateurs de la biomasse. La multiplicité des intrants et des débouchés implique donc de réfléchir en terme de systèmes et non plus par filière.