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Ludovic Duhem intervient ce 10 octobre 2019 au lancement du FESTIVAL VIVANT.
Il relit les criques écologiques du XIXe siècle et les criques écosociales des années 1970 pour nouer l'ancage d'un design écosocial qui prend soin des milieux de vie et les miieux humains. Il livre ici l'entrée en matière d'un livre issu de nombreux colloques, seminaires menés au sein de l’École Supérieure d’Art et de Design de Valenciennes
L’idée de « design écosocial » répond à une situation sans précédent : notre mode de vie actuel est insoutenable écologiquement et socialement. Face aux destructions massives et aux menaces concrètes pesant sur l’intégrité de notre monde, il est en effet irresponsable et suicidaire de nier les effets écologiques et sociaux de l’activité humaine conduite selon le modèle économique, industriel et culturel dominant. Production et consommation de masse, croissance et progrès, humanisme et technicisme, ont non seulement montré leurs limites depuis deux siècles, mais il est désormais avéré que leur maintien inconditionnel produit le contraire de la promesse d’une vie bonne pour tous.
Cette prise de conscience n’est pourtant pas nouvelle. Depuis le XIXe siècle et l’avènement de l’industrie capitaliste moderne, il existe une critique sociale et une critique écologique. La critique sociale s’est constituée en réponse au paupérisme de masse qui a frappé les ouvriers dans les usines européennes, américaines et finalement dans le monde entier. Elle s’est donnée pour vocation de comprendre les mécanismes d’exploitation, d’aliénation et d’exclusion qui empêchent les individus, les groupes, les peuples, tous les dominés et les vulnérables, d’avoir une vie pleinement humaine et de participer concrètement à la société. Les mouvements socialistes, anarchistes, solidaristes, communistes, féministes, et postcoloniaux ont ainsi progressivement changé la société
en faisant de la critique sociale non seulement une explication pertinente de la situation des ouvriers mais aussi de celle de tous les subalternes en état de souffrance sociale (communautés paysannes, indigènes, homosexuels, migrants, etc.). Selon les circonstances et les problématiques, ces mouvements ont mobilisé l’analyse, la lutte, l’insurrection ou la négociation, pour obtenir que la société soit renversée, transformée ou devienne simplement plus intégrative par de meilleures conditions de travail et de rémunération, par des nouveaux droits et des protections efficaces, enfin par une reconnaissance institutionnelle et sociale de la diversité des identités, des vulnérabilités et des capacités des citoyens. Cette lutte pour la reconnaissance et l’émancipation, qu’elle soit violente ou patiente, globale ou marginale, s’est aussi accomplie pour les sociétés non industrielles et non occidentales où les représentations collectives, les dispositifs de pouvoir et les stratégies de lutte sont différents de l’histoire supposée universelle de l’émancipation (Spivak, 1990 ; Keucheyan, 2013).
La critique écologique, pour sa part, a connu un développement tout aussi important, mais plus tardif. Elle s’est principalement structurée et généralisée au cours de la seconde moitié du XXesiècle. Le rapport The Limits of Growth du Club de Rome en 1972, le rapport Our Common Future de Brundtland en 1987, le Sommet de la Terre en 1992, ou encore la série des conférences sur les changements climatiques (COP), sont autant de jalons institutionnels significatifs de la prise de conscience écologique au niveau mondial. Les catastrophes naturelles successives dues à l’activité humaine ont également contribué à cette prise de conscience, par leurs effets sur la santé publique, sur l’économie locale, sur les paysages. On peut citer à cet égard les retombées radioactives des essais nucléaires de Castle Bravo en 1954 (USA), la pollution à la dioxine de Seveso en 1976 (Italie), la marée noire de l’Amoco Cadiz en 1978 (France), l’explosion de l’usine de pesticides Union Carbide à Bhopal en 1984 (Inde), l’explosion du réacteur nucléaire de l’usine électrique Lénine de Tchernobyl en 1986 (Ukraine), et tant d’autres partout dans le monde jusqu’à la catastrophe récente de Fukushima en 2013 (Japon).
Mais ces jalons historiques récents ne rendent pas justice à la totalité de la critique écologique apparue avec l’avènement de l’industrie capitaliste, à savoir celle qui a précédé la prise de conscience citoyenne et politique large, et qui a anticipé les risques de destruction de la nature et ses conséquences sur la vie humaine (Audier, 2017). Dès le début du XIXe siècle, le romantisme européen et le transcendantalisme américain ont ainsi vu ce que le développement de l’industrie naissante allait produire sur la nature, sur les paysages, sur les humains. À cette époque, l’irruption du machinisme, dans les villes mais aussi dans les campagnes, l’essor spectaculaire du chemin de fer qui traverse tous les obstacles en modifiant irréversiblement les plaines comme les montagnes, marquent concrètement les terres et traumatise symboliquement les esprits. Des philosophes et des scientifiques, mais surtout des poètes et des peintres, s’alarment alors des effets nuisibles de la « civilisation » et de la « modernité », appelant les êtres sensibles que sont les humains à plus de respect vis-à-vis de la nature. Ils les incitent non seulement à contempler la nature mais aussi à fonder des réserves, des parcs, des colonies, qui puissent préserver ce qui peut encore l’être de beauté sauvage, de ressources fragiles, de diversité vivante. Cette première critique écologique constitue une critique à la fois scientifique, philosophique, morale et esthétique ; et on la trouve explicitement chez une grande diversité d’auteurs tels Sand, Chateaubriand, Tocqueville, Von Humboldt, Reclus, Carlyle, Thoreau, Emerson, Georges, Wallace, Marsh, Catlin, Cole, etc. Selon cette conscience écologique en devenir où la nature n’est plus inviolable ni l’humain innocent, la compréhension des mécanismes biologiques ne s’oppose pas à l’appréciation esthétique, vérité et sublimité s’alliant sans se réfuter mutuellement pour préserver ou rétablir l’harmonie.
Cette sympathie inquiète pour le devenir de la nature n’exclut pas pour autant l’attention vigilante pour la question sociale. Au contraire, le plus remarquable dans cette histoire précoce réside dans le fait que la critique écologique s’est alliée immédiatement à la critique sociale, dès l’apparition de l’industrie, en refusant d’opposer les enjeux de sauvegarde de la nature avec les enjeux de l’émancipation humaine. Bien que cette histoire de la critique à la fois écologique et sociale soit souvent minorée ou tout simplement éludée – par la tendance libérale comme par la tendance marxiste –, elle n’en est pas moins d’une grande importance pour la problématique actuelle. Très tôt, on trouve en effet dans le socialisme utopiste de Fourier et dans l’anarchisme de Proudhon, des réflexions sur la destruction de la nature et sur la nécessité de la protéger pour elle- même et pour les êtres humains qui en tirent leurs ressources. Ils refusent par exemple qu’on la privatise et qu’on la pille inconsidérément. Pour ces pionniers de la critique écosociale comme pour leurs héritiers, il s’agit dès lors de proposer une société nouvelle, radicalement différente de la société industrielle capitaliste, non pas pour revenir à une sauvagerie primitive ou édénique – bien qu’elle soit parfois invoquée – ; mais pour construire une société sans oppression ni destruction irréversible pour tous les êtres vivants sur Terre. De surcroît, cette nouvelle société devrait être capable de réparer ce qui a été endommagé et de reconstruire ce qui a été détruit, en allant donc au- delà de la simple protection mais sans exclure les populations locales ni sacrifier le reste du territoire.
La critique « écosociale » naissante fera ensuite son chemin parmi une grande variété de théories et de mouvements, reprenant les thèses ou l’esprit du romantisme, du transcendantalisme, de l’anarchisme et du marxisme, en passant par la contre-culture américaine (Beatniks, Diggers, Hippies) et ce, jusqu’à la constitution de l’écologie politique comme telle dans les années 1970. L’écologie politique quant à elle sera entendue à la fois comme une approche culturelle de l’écologie appliquée à l’espèce humaine et comme un mouvement social cherchant à transformer la société sur des principes d’harmonie, d’autonomie, de solidarité et de responsabilité. Ses principaux enjeux stratégiques seront d’amener la question écologique dans le débat public, de légitimer une action politique autonome et d’élaborer un cadre législatif et normatif contraignant, garanti par l’État et par des instances de contrôle indépendantes. Mais tout en s’attachant aux problématiques locales ou territoriales, l’écologie politique aura tendance à se focaliser sur l’idée générale que la crise écologique est avant tout globale et donne naissance à une société du risque qui égalise tous les individus par le danger (Jonas, 1979 ; Beck, 1986). Les responsables et les victimes, localement et globalement, seraient ainsi unifiés dans une communauté de destin sans inégalités remarquables quant à l’exposition au danger, quant aux effets sociaux des menaces sur les milieux de vie, quant aux effets des politiques environnementales.
Or, si les effets des dégradations écologiques sont effectivement globaux et impactent l’ensemble de la planète, ces effets ne sont pas équitablement répartis selon les sociétés et selon les groupes: accès aux ressources vitales, équipement sanitaire, niveau d’éducation, cadre légal, structures de prévention et de défense, moyens économiques, font varier considérablement l’impact des pollutions par exemple, y compris dans les pays industriels hyper-développés comme ont pu le montrer les ouragans de cette dernière décennie aux États-Unis. Il existe ainsi une inégalité de l’exposition aux risques écologiques, mais il existe aussi une inégalité de responsabilité, de connaissance, de protection et de réparation. Ni la capacité de dégrader le milieu, ni le sentiment d’exposition au danger, ni la souffrance de ses effets, ni les possibilités de prévenir, de protéger et de réparer ne sont les mêmes pour tous, et les populations les plus vulnérables socialement sont souvent celles qui souffrent le plus directement, le plus intensément et le plus durablement de la dégradation des milieux de vie (Laurent, 2010 ; Martinez-Alier, 2014). Les nuisances, les pollutions comme les catastrophes, ont ainsi un effet de renforcement des inégalités sociales et les inégalités sociales ont tendance à favoriser les inégalités écologiques, sans qu’il y ait pour autant un déterminisme univoque dans un tel fait (Larrère, 2017). Justice sociale et justice écologique sont en fait inséparables, c’est pourquoi une nouvelle critique écosociale peut contribuer à repenser la dimension écologique des inégalités sociales et réintroduire la question sociale au sein de l’écologie politique, ou plus généralement au sein des politiques publiques.
Ainsi, par son histoire déjà ancienne, mais aussi par des penseurs plus récents comme Berg, Sale, Gorz, Anders, Marcuse, Illich ou Harraway, une critique écosociale existe et peut renouveler l’écologie politique. Pour être efficace, elle doit cependant affronter les tensions problématiques que l’écologie politique n’a pas su résoudre jusque-là, notamment celle existant entre global et local, conscience écologique et développement économique, protection de la nature et exclusion sociale, vulnérabilité concrète et capacité d’action, jouissance esthétique et efficacité technique. Plus généralement, une critique écosociale réellement pertinente et conséquente doit parvenir à dépasser les oppositions et les alternatives classiques qui ont structuré l’analyse et les actions de l’écologie politique depuis l’avènement de la modernité – si ce n’est de la pensée occidentale –, à savoir : les oppositions entre sujet et objet, matière et forme, moyens et fins, nécessité et liberté, individu et société, contemplation et action, raison et croyance, nature et culture ; et les alternatives entre écologisme et humanisme, écologisme et économisme, écologisme et technicisme, écologisme et environnementalisme. Or, ce double dépassement exige une critique écosociale réflexive, et pas seulement descriptive et normative. C’est ce que les « écologies générales » de Bateson, de Guattari, de Ingold, de Berque et de Stiegler apportent chacune à leur manière, à travers une pensée qui se structure selon le milieu, c’est-à-dire selon les relations, les dynamiques, les différences, les virtualités. Le milieu en question est irréductible à l’environnement (donné brut objectif) comme à la nature (totalité métaphysique) ; et il est bien autre chose qu’un espace neutre et abstrait, puisqu’il comporte autant les dimensions écologique, technique, social et politique que la concrétude des contraintes, des risques, des ressources et des agréments qui expriment ces dimensions.
Qu’en est-il pour le design ? Tout dépend de ce que l’on entend d’abord par « design écosocial ». Si l’on décompose cette notion encore très récente, on se rend compte que chaque élément est polysémique, mouvant, et renvoie souvent à des positions contradictoires. Ainsi, par « design », on peut désigner aussi bien une technique d’esthétisation de l’utile dans le contexte de la production industrielle ; une théorie générale de la conception dans le contexte des sciences de l’ingénieur ; une discipline de projet dédiée aux objets utilitaires dans le contexte des arts appliqués ; un ensemble indéfini de pratiques intervenant sur les milieux de vie et leurs usages à toutes les échelles (de l’objet à l’habitat, de la ville au territoire) dans le contexte des activités de création. Il en va de même pour « éco », qui renvoie d’abord à l’idée de foyer, radical commun à « économie » et à « écologie », cette dernière désignant à la fois une science décrivant les relations de l’organisme à l’environnement (qui s’est d’ailleurs appelée « économie de la nature ») ; une attitude générale de respect et de bienveillance envers la nature ; une action politique militante de sauvegarde et de lutte centrée sur les êtres vivants et leurs habitats ; une philosophie générale relationnelle et critique de l’anthropocentrisme. Quant à « social », on peut désigner ainsi les rapports entre individus formant une société ; le secteur économique spécifique de protection et d’assistance de l’État ; les démarches et pratiques répondant à des besoins non pris en charge par l’État et le marché visant la convivialité, la solidarité et la coopération ; ou encore l’ensemble des luttes pour la justice sociale, pour la reconnaissance des droits, des spécificités et des vulnérabilités des individus en situation d’exploitation, d’aliénation et de domination. Lorsque l’on forge la notion de « design écosocial », on risque donc de proposer un monstre sémantique ou un concept vide incapable de qualifier une pratique de design identifiable qui puisse se distinguer du design industriel, mais aussi du design « soutenable », lequel propose justement d’intégrer le social et l’écologique dans sa démarche.
Cependant, tout en partageant souvent l’esprit, les principes et les méthodes engagées par le design « soutenable » (parfois appelé aussi design « responsable », « éthique » ou « citoyen »), le design « écosocial » peut s’en distinguer par l’explicitation directe, dans son nom, de l’inséparabilité de la dimension écologique et de la dimension sociale. Mais cette explicitation n’est pas seulement formelle ou terminologique, elle engage surtout la prise de conscience de la réelle réciprocité de l’écologique et du social, dans le sens où l’action écologique a un effet social et que l’action sociale a un effet écologique ; social et écologique étant en ce sens à la fois les conditions et les finalités de l’activité de design, sans privilège accordé à l’un ou à l’autre. En outre, la notion de design écosocial permet également d’ancrer le souci commun pour l’écologique et le social dans l’histoire de la critique écosociale, qui précède celle de la «soutenabilité» et évite les ambiguïtés souvent problématiques du « développement durable » à l’égard du modèle dominant (contraindre et réparer sans changer le système et ses principes). Finalement, ce choix permet de réinterpréter l’histoire moderne du design à travers ceux qui ont cherché une alliance écosociale dans leur position et dans leurs projets – selon voies parfois incompatibles (Petit, 2015) –, à savoir des figures emblématiques telles que Morris, Moholy-Nagy, Buckminster Fuller, Maldonado, Papanek, ou plus récemment Rams et Manzini.
En retenant ainsi « design écosocial » plutôt que « design soutenable », c’est d’une part l’affirmation d’une rupture avec le design commercial et industriel de masse pour lequel la nature est un matériau disponible et inépuisable, et l’humain un ensemble de consommateurs contrôlables et d’usagers indifférenciés ; et d’autre part, c’est en même temps l’affirmation d’une continuité ou d’une reprise de la critique écosociale en vue de répondre aux stratégies de récupération du marketing dit « responsable » ou « éthique ». Car un tel marketing crée, par opportunisme économique, davantage un masquage mensonger de la réalité par le « green washing » et le « social washing » qu’il ne contribue à transformer positivement les comportements des industriels et des consommateurs par une déontologie conséquente. Mais être écosocial pour le design, c’est aussi et surtout une manière de considérer l’enjeu esthétique comme étant un enjeu majeur de la critique écosociale, en ce sens que misère écologique et misère sociale sont toujours redoublées par une misère esthétique. Or, cette misère esthétique n’est pas seulement une dégradation objective des paysages et un manque d’éducation esthétique des plus vulnérables, c’est surtout uneinsensibilisation généralisée au milieu. Quand il y a misère esthétique, il y a rupture du lien sensible avec le milieu, c’est-à-dire séparation avec l’environnement objectif (le sol, le ciel, les reliefs, les côtes, les végétaux et les animaux), mais aussi dissolution de la communauté sensible (structures de l’imaginaire, symboles communs, pratiques esthétiques vernaculaires, disputes d’appréciation). Dans une telle situation, il n’est plus possible de reconnaître ni d’exprimer la relation à la fois individuelle et collective, émotive et symbolique, au milieu, ce qui est pourtant la condition de formation de la culture. Un design écosocial, au-delà du paysagisme et des usages esthétiques de la nature, peut donc contribuer à une re-sensibilisation des sujets au milieu, c’est-à-dire proposer des conditions favorables pour que chacun puisse reprendre contact avec ce qui fait qu’un individu devient sujet selon le milieu, lequel forme un monde à mesure qu’il prend sens dans une expérience partageable.
Autrement dit, faire du design écosocial ou avoir une approche écosociale du design, c’est chercher à lutter contre la misère écologique, sociale et esthétique imposée par le capitalisme culturel des industries du symbole (industries de programme, industries vidéoludiques, industries socionumériques (Stiegler, 2004)), en renouant le lien avec le milieu. Mais cette lutte, aussi nécessaire et incontournable soit-elle pour instaurer le bien-vivre par les liens écosociaux, ne peut prétendre à un effet positif et durable sans une critique des fins comme des moyens, des représentations comme des effets du design lui-même, y compris pour le design qui se donne pour vocation de prendre en charge la question écosociale. Cette autocritique, cette réflexivité propre au design écosocial, est en effet un impératif à l’époque où le design est devenu universel en fait, l’autorité du dessein humain s’appliquant désormais à tout : des êtres vivants (ingénieurie génétique) aux esprits (neuromarketing et design de la connaissance), des objets (design industriel de masse) à la Terre (géoingénieurie). Dans ce contexte hyperindustriel et anthropisé où le contrôle humain semble sans limite, il suffit alors d’énumérer les domaines dans lesquels le design écosocial cherche à apporter des solutions pour prendre toute la mesure de la difficulté de lui assigner une priorité absolue et une méthode unique : protection des ressources naturelles; préservation de la biodiversité ; recyclage des matériaux ; réemploi des dispositifs ; développement de la permaculture ; lutte contre le gaspillage alimentaire ; expérimentation de l’économie solidaire ; facilitation de la coopération de conception et de production ; réparation des objets et des habitats ; lutte contre l’obsolescence programmée ; reconnaissance de la multiplicité des identités et des vulnérabilités ; valorisation des imaginaires microculturels et des compétences esthétiques locales ; développement de l’autonomie individuelle et de la solidarité sociale. Une telle énumération n’est cependant pas une manière de condamner d’avance le design devant l’ampleur de la tâche, mais elle ouvre une série de champs d’expérimentation qui pourraient produire des effets vertueux par synergie, transformant, de proche en proche, l’ensemble de la situation.
Dans cet ouvrage, il ne s’agit donc pas de prendre position de manière univoque en donnant une signification définitive au design écosocial pour répondre à de tels enjeux. Cette appellation reste volontairement ouverte, et même programmatique, dans la mesure où elle accompagne une évolution nécessaire de la société et s’inscrit dans un parcours de recherche qui s’est d’abord concentré sur le design social pour en affirmer ensuite la dimension fondamentalement située en vue d’y intégrer la question écologique. Les contributions réunies ici, de chercheurs en sciences humaines comme de designers, se présentent comme des propositions complémentaires pour une première approche de ce champ émergent de recherche et de création.
À titre d’invitation adressée au lecteur au-delà du contenu effectif de l’ouvrage, on pourrait finalement proposer ce qui suit : ni utopie irréaliste, ni esthétisation formaliste ni simple pansement pour la nature et la société, le design écosocial aurait vocation à prendre soin des milieux de vie, c’est-à-dire des milieux humains en tant qu’ils sont indissociables des milieux naturels. Il s’agirait de les comprendre en situation, dans leur réalité complète et concrète, sans éluder leur complexité ni leurs tensions, et participer de leur dynamique transformatrice pour le bénéfice de la diversité et de la durabilité des cultures, des sensibilités et des formes de vie sur la Terre.
(Remerciements)
Les coordinateurs tiennent à remercier tous les auteurs de cet ouvrage ainsi que tous les intervenants ayant participé à faire de ce projet de recherche bien plus qu’une démarche de recherche académique, bien plus qu’une action pédagogique, bien plus qu’une rencontre avec les acteurs qui pratiquent écologiquement et socialement le design, à savoir en lui donnant un sens vécu profondément humain où la nature ne joue plus le rôle de support docile ou de décor harmonieux pour le design.
Bibliographie
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